les citations
aguiller v.
I.◆ 1.◆ (v. tr.) Mettre un objet dans une position élevée et souvent instable, précaire ou difficile d’accès ; jucher. Aguiller un vase sur le bord de l’armoire. ⇒ aguillage ; déguiller ; raguiller ; abéquer.
1 « On avait été aguiller nos flambeaux dans les rochers. » MeijerEnq 1962, p. 82.
2 « Les paysans aguillaient des petits autels sur une souche, ils clouaient la Vierge et l’Enfant sur les sapins et un jeune homme plantait une plume de coq de bruyère dans l’écorce sous les saintes faces pour conjurer la foudre et la peste noire. » J. Chessex, Portrait des Vaudois, 1972 (1re éd. 1969), p. 121.
3 « Aguiller un pot à fleur sur le bord de la fenêtre (lequel pot ne tarde pas à déguiller*). » Enq. CD/II, 1975-1981 (NE Fenin).
4 « Adroit comme un singe, il avait été chargé d’aguiller le coq sur le clocher. » CuenVaud 1991, p. 16.
↪ V. encore s.v. déguiller 2.
I. 2.◆ (v. tr.) Empiler des objets dans un équilibre instable ; mettre en tas. Aguiller des assiettes, des boîtes.
5 « Les plus grands tirent le fumier dans la rigole, le chargent sur des brouettes et prenant de loin leur élan vont péniblement l’aguiller sur la courtine*. » IttÇà 1975, p. 239.
6 « Il a aguillé ces gros morceaux de bois au bûcher. » Enq. CD/II, 1975-1981 (VD Arnex).
7 « J’avais mal aguillé des pots dans l’armoire, il y en a trois qui se sont cassés. » Enq. CD/II, 1975-1981 (NE Colombier).
8 « Aguille ces livres ! » Enq. CD/II, 1975-1981 (BE Bienne).
9 « […] un monsieur qui essayait d’aguiller les unes sur les autres seize coupes de champagne. » TSR, émission Sur un plateau, 11 janvier 1982.
10 « C’est donc en volant une chaise au public, en “aguillant” sur ses genoux l’ordre du jour, les préavis et son bloc-notes, tout en louchant sur le rapport que possède un voisin plus ou moins éloigné, que le plumitif de service suit les (longs) débats du législatif nyonnais. Dur, dur… » Gazette de Lausanne, 28 mai 1986.
11 « Il pose, dépose, aguille, déguille* ses carreaux et soudain ils ne sont plus là ! » La Suisse, 16 octobre 1993, p. 20.
◇ Iron., en parlant d’êtres animés que l’on entasse comme des objets :
12 « Pour tester la résistance de ce pont, l’armée étant en manœuvres du côté de la Gruyère, me disait un rigolo de l’endroit, il n’y a qu’à faire descendre tous les Ormonans*, des plus petits jusqu’aux plus gros, les aguiller tous ensemble sur ce pont. Si le pont tient, c’est une belle œuvre ; si le pont passe en bas [= s’écroule], c’est une bonne œuvre. » IttCons 1970, p. 152.
13 « Puis, avant les aubes [= l’aube], on aguillera une trentaine de caïons* sur d’autres chars à caisses [= sorte de benne en bois pour le transport des porcs], ce qui n’est pas une petite affaire. » IttÇà 1975, p. 138.
II.◆ s’aguiller v. pron. Se jucher, grimper, monter. S’aguiller sur un arbre, dans un arbre.
14 « Alors, les plus délurés grimpaient à califourchon sur les bossettes* ; les autres s’aguillaient sur les deux troncs grossièrement équarris du char. » R. Molliex, Chantevin, 1973, p. 138.
15 « Le lundi de Pâques, grand-mère, grand-père, endimanchés […], s’aguillaient dans la cacarde [= vieille voiture] du docteur et départ direction Lausanne. » IttÇà 1975, p. 98.
16 « C’est plein de troncs d’arbre ; je m’“aguille” sur un tronc. Qu’est-ce que je risque ? » J.-P. Moulin, L’Humour des Suisses, 1975, p. 53.
17 « Le chat s’est aguillé sur un arbre, ou tout en haut du tas de bois. » Enq. CD/II, 1975-1981 (NE Chézard).
III.◆ aguillé, ‑ée part. passé-adj. Perché, juché ; en équilibre instable. Aguillé sur, à.
18 « Le père et le fils cueillent des cerises au verger. Le père crie au fils qui est aguillé au fin coutzet [= cime] d’un cerisier : […]. » IttCons 1970, p. 227.
19 « […] il descendait le raidillon de la Tillette à tombeau ouvert, aguillé sur un vieux vélo […]. » IttÇà 1975, p. 86.
20 « On nous ficelle ; on nous met du persil dans les oreilles ; on nous mène devant le grand chef, une espèce de gorille “aguillé” sur un trône. » J.-P. Moulin, L’Humour des Suisses, 1975, p. 55.
21 « Elle était aguillée à une échelle pour cueillir des cerises. » Enq. CD/II, 1975-1981 (NE Cortaillod).
22 « “Aguillés” entre vingt et trente mètres au-dessus de la place du village à l’extrémité d’un bras télescopique, les deux funambules ont donné le torticolis aux badauds venus les regarder. » Le Matin, 6 mars 1986, p. 9.
23 « T’as vu cette manif devant le Palais, avec ces deux gueïupes [= femme légère] aguillées sur le toit du camion ? On se serait dit en plein Paris en 68. » Bloc-notes veveysan (organe officiel du Parti Socialiste Veveysan), 1er mai 1993, p. 7.
24 « Un beau matin, ils ont dévalé les collines en pétaradant avec leurs longs rifles, fusils de chasse et mitraillettes aguillés sur des vieilles voitures. » F. Clément, Les vaches enragées, 1993, p. 211.
↪ V. encore s.v. ruclon.
(En parlant d’inanimés) Déposé, installé sur le sommet de, sur la surface de.
25 « Aguillé sur le trabetzet [= tréteau de boucher] ou accroché tête en bas, le cochon est vidé et découpé avec art en jambons, lards, rôtis et autres morceaux portés à la cuisine ou à la chambre* à lessive… » IttÇà 1975, p. 55.
◇ Qui surplombe.
26 « Produit sur cette pente aride, il [le vin de Lavaux] prend parfois un goût de brûlon* dans ses charmus* minuscules aguillés [en italique dans le texte] au-dessus du lac depuis des siècles. » E. Gardaz et al., Le Vin Vaudois, 1975, p. 125.
Localisation. Attesté surtout dans Canton de Vaud et Canton de Neuchâtel (dans toutes les acceptions) ; I et III sont aussi connus dans Canton de Genève.
Remarques. Cf. encore le dérivé aguillée n. f. “amoncellement” (IttÇà 1975, p. 263 ; cf. déguillée ⇒ déguiller et raguillée ⇒ raguiller).
Commentaire. Représentant en français régional d’un type dialectal bien documenté (v. GPSR). Attesté en français de Suisse romande pour la première fois en 1820 (GaudyGen ; mais voir Gdf s.v. aguillier pour des exemples de 1497 à Abbeville [Somme]). À l’époque contemporaine, des emplois semblables ont été relevés en Savoie (patois aguelli “jucher qch. à un endroit élevé”, français régional de Juvigny aguillerid. ; v.r. se jucher quelque part” ; v. ConstDésSav) ainsi qu’en français régional du Haut-Jura (RobezMorez), de l’Ain et de Savoie (v. GuichSavoy).
Bibliographie. GaudyGen 1820, 1827 ; HumbGen 1852 ; CalletVaud 1861 ; BonNeuch 1867 ; Gdf 1, 171b ; « s’aguiller “monter au sommet” » CarrezHJura 1906 ; ConstDésSav 1902 ; WisslerVolk 1909 ; OdinBlonay 1910, p. 6 ; Pier ; GPSR 1, 176a-177a s.v. agǝlyi̩ ; BiseHBroye 1939, p. 304 ; MeijerEnq 1962, p. 82, 130 ; ZumthorGingolph 1962, p. 246 ; FEW 16, 307a, kegil I 1 ; IttCons 1970 (> DFV 1972) ; Alpha 1982 ; GuichSavoy 1986 ; Lengert 1994 ; « couramment employé partout, dans le Haut-Jura » RobezMorez 1995 ; OffScrabble 1995 ; FréchetAin 1998.
Copyright © 2022, tous droits réservés