crouille [kʀuj] adj. (toujours antéposé), n.
1.◆ (adj.) Mauvais, de mauvaise qualité, en piteux état (choses). Un crouille habit, une crouille marchandise, un crouille vin. ⇒ pouet 3.
1 « Il faut absolument qu’elle aille à Ennuie pour faire des achats : “une robe pour Claire et une autre pour Simone, à tout le moins, parce que ces ‘crouilles’ jupes qui leur arrivent même plus aux genoux…” » G. Clavien, Les Moineaux de l’Arvèche, 1974 (1re éd. 1962), p. 151.
2 « Dans un village cossu de notre beau canton*, un soir de printemps, on peut voir sur la place devant l’auberge communale […] une
quinzaine de voitures toutes plus belles les unes que les autres […]. Et au milieu,
une crouille vieille VW, toute poussiéreuse… » IttCons, 1970, p. 205.
3 « [… ] c’étaient de lourds vélocipèdes avec éclairage à acétylène qui nous causait de
fréquents ennuis quand la flamme douteuse mais odorante rechignait pour dispenser
un crouille feu follet capricieux. » IttÇà, 1975, p. 98.
4 « Une fois un curé est arrivé dans une paroisse, il venait de terminer ses études, il
n’avait pas tellement d’argent pour s’acheter une Mercédès ou bien une Volvo, il a
acheté un “crouille” vélomoteur d’occasion, je vous dis ça comme je parle, je ne veux pas vous dire un
“mauvais” vélomoteur. » Fr. Tanner, Contes et légendes de Fribourg, 1984, p. 173.
◇ Mesquin, minable (chose).
5 « Mais nous manquons certainement de beurre par chez nous à voir les crouilles rations servies par nos hôteliers. » IttÇà, 1975, p. 114.
6 « La meule* que la mienne [ma femme] peut me faire dès que je coupe une lèche [= tranche] de
fromage avec un crouille quignon de pain. » RSR, 2 juin 1976.
◇ Faible, malingre, chétif ; en mauvaise santé, souffreteux, mal en point (personnes,
animaux, entreprises). ⇒ crevotant (s.v. crevoter).
7 « Des bergers, on leur donnait des vaches à la montagne, c’étaient des crouilles vaches à deux litres par traite, et il fallait même que le berger paie son lait au
propriétaire. » P. Hugger, Le Jura vaudois, 1975, p. 224.
8 « – Que nous apprend l’histoire de la presse dans la région ? / – Que c’est le journal
le plus crouille, le Messager de Montreux [en italique dans le texte], fondé par mon grand-père, qui a fini par rassembler les autres journaux de la région.
Cela n’a rien d’unique : c’est souvent le plus faible qui doit se battre. » Le Nouveau Quotidien, 31 octobre 1996, p. 13.
↪ V. encore s.v. seillon.
2.◆ (n.) Vaurien, canaille, crapule.
9 « Ces gens-là, il faut s’en méfier, ce sont souvent des “crouilles”. » Tribune-Le Matin, 5 mars 1978, p. 6.
3.◆ (adj., n.) Chenapan, filou ; taquin, farceur, rusé (en particulier d’un enfant ; plutôt affectueux).
10 « La petite Yvette, la fille de l’administrateur postal de G., est une crouille gamine d’une vivacité extrême […]. » A. Belperroud, Les toutes bonnes du syndic, 1973, p. 85.
11 « Elle est crouille comme tout, cette petite. » Enq. CD/II, 1975-1981 (NE Neuchâtel).
12 « Espèce de crouille bouèbe [= garçon] ! » Enq. CD/I, mars 1976 (NE Colombier).
13 « Incorrigible mauvaise langue, un journaliste insinuait hier que lorsqu’on lui demande
l’heure, M. D. commence par brosser un tableau de la crise horlogère […]. Et un autre
journaliste, pas moins “crouille” que le précédent, d’ajouter : / – Oui, mais il ne donne même pas l’heure juste ! » Gazette de Lausanne, 1er juin 1983.
↪ V. encore s.v. régent.
Remarques. Dans la plupart des glossaires du xixe s. et dans Pier, le mot est orthographié crouye ; Had 1983 et Nic 1990 mentionnent crouille et crouye. GaudyGen 1827, HumbAmél 1957 et IttCons 1970 (> CuenVaud 1991) donnent crouïe (sans tréma dans GaudyGen 1820).
Commentaire. Premières attestations en Suisse romande : 1372, 1403 (croye, v. Pier). Transposition en français régional d’un type dialectal croi (d’origine gauloise) déjà attesté avec le sens de “mauvais, méchant” dans les anciens dialectes poitevin, bourguignon, lyonnais, dauphinois, provençal,
auvergnat et limousin (v. FEW) ; dans les dialectes modernes, on le relève avec le
même sens dans le Doubs, dans le Jura français, en Haute-Savoie, en Savoie, dans l’Ain,
en Isère, dans les Hautes-Alpes et en Haute-Loire. Avec le sens de “maladif, mièvre”, ce type se rencontre également dans les dialectes des Vosges, du Haut-Rhin, de Belfort,
du Doubs, de la Savoie, de la Haute-Savoie et de l’Isère. Les deux sens sont en outre
attestés dans les dialectes de Suisse romande. En français régional, en plus des données
romandes (v. ci-dessus), on a relevé Franche-Comté (local. non précisée) croille adj. “laid, vilain” (Colin), Morez (Haut-Jura) crouye adj. “sale ou méchant”, crouille adj. “de mauvaise apparence, de peu de valeur, mauvais, chétif”, Mariac (Ardèche) croïl(le) adj. “chétif, malingre, rabougri (animés) ; insuffisant, dérisoire (inanimés)”, Marseille croille n. f. “arrogance, culot, effronterie”.
Bibliographie. GaudyGen 1820, 1827 ; HumbGen 1852 ; CalletVaud 1861 ; BonNeuch 1867 ; WisslerVolk
1909 ; OdinBlonay 1910, p. 295b-296a ; Pier, PierSuppl ; FEW 2, 1358, *crŎdios 1 et 2 ; BiseHBroye 1939, p. 304 ; HumbAmél 1957 ; ZumthorGingolph 1962, p. 243 ; IttCons
1970 (> CuenVaud 1991) ; Had 1983 ; Pid 1984 ; BouvierMars 1985 ; DurafHJura 1986 ;
Nic 1990 ; MazaMariac 1992 ; ColinParlComt 1992 ; RobezMorez 1995.
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