ruper v. tr. (rarement rupper)
1.◆ Manger avec voracité ; manger.
1 « Pour attirer la bestiole [un chevreuil], des bouts d’pain sec et v’là l’travail. Le
lendemain, rien dans l’piège, plus d’pain. C’est l’troupeau de corbeaux qui survole
la cahute qui avait tout ruppé, quant au chevreuil en question, il n’a plus faim pour un moment. » Les 3 d’blanc, Journal des Vendanges [NE], 1996, p. 7.
2 « Et l’hurluberlu n’a pas tourné les talons pour aller ruper une raclette* radicale au stand d’à côté [stand du Parti radical] que […]. » Parti libéral vaudois, mars 2002 (Internet).
3 « C’est une tradition du club d’aller manger les saucisses aux atriaux*, ail, cartilages et autres combines dont les autochtones raffolent, qu’ils disent.
Moi, je me réjouis de la sortie en Amazonie, je n’ai encore jamais rupé des araignées. » Club de Vol Libre de la Gruyère, 5 juin 2003 (Internet).
2.◆ Prendre, subtiliser, rafler ; gaspiller, dissiper.
4 « Notre tante Lucette, qui était la mijaurée de la famille, se faisait des masques de
beauté avec des carottes râpées et du jus de citron. On la laissait préparer son “commerce”* et on le lui “rupait” en cachette. » IttÇà, 1975, p. 120.
5 « Quand il m’a renvoyé – il rentrait à New York – il m’a laissé un peu d’argent et j’ai
pu m’établir à Apples comme mécanicien. J’en ai touché des motos et des vélos, mais
à présent je vis de “pain et fromage” et j’évite de me faire ruper ma monnaie. » 24 heures, 19 février 1982, p. 20.
6 « Il a tout rupé [il a tout dépensé]. » Femme, 26 ans (Fribourg), 23 avril 1995.
7 « Il avait fait un bel héritage, mais il a tout rupé en quelques mois » Homme (VD Nord), juin 2003.
↪ V. encore s.v. commerce 1.
Localisation. 〈Canton de Vaud〉, 〈Canton du Valais〉, 〈Canton de Fribourg〉, 〈Canton de Neuchâtel〉.
Remarques. Très fam. — Cf. encore le dér. rupée n. f. “démangeaison” (« Quand j’ai eu la gale, ça me faisait des rupées à la taille. » Homme, env. 50 ans, VD Nord, 24 mai 1990) ; “grande bouffe” ( « On a fait une de ces rupées hier soir. » Homme, env. 50 ans, VD Nord, 24 mai 1990) ; “forte averse” (« Au Jura, ils vont prendre une rupée pas possible. » Femme, env. 60 ans, VD Yverdon, 26 août 1996). — Au Val d’Aoste on signale riper v. tr. “soutirer, arracher” (MartinAost 1984).
Commentaire. Dans l’histoire du vocabulaire français, un vb. riper apparaît d’abord au xive s. avec le sens de “gratter”, et un autre au xixe s., avec le sens de “dérober, prendre”. Selon v. Wartburg, les deux verbes appartiennent à une même famille de descendance
germanique, dont fait également partie l’all. reiben “frotter”. Vraisemblable sur le plan sémantique (cf. le cas parallèle de l’ital. fregare “frotter” et, au fig., “tromper, voler”), cette hypothèse est également acceptable pour la phonétique : il suffit de considérer
la forme ruper comme dialectalisme emprunté au patois SR rupa̩ [ʀypɑ] où le [y] s’explique par le phénomène courant de la labialisation du [i]. Du milieu du xixe jusqu’au début du xxe s., ruper avait encore le sens de “gratter”, surtout en emploi réfléchi (Humb- Gen ; CalletVaud ; DupertuisVaud ; WisslerVolk ;
OdinBlonay). Ce sens, que l’on retrouvait aussi dans les patois de VD, VS, GE et FR
(fichier GPSR), a disparu à époque moderne. Seul IttCons le signale encore, sans doute
comme survivance isolée (cf. encore le dér. rupée “démangeaison” ci-dessus). Des deux sens encore en usage, le sens 1 est attesté en SR depuis 1892
(« Si par malheu y a un joli morceau que la mère Torniau réserve pou ses habitués, hardi !
mon gailla y foure se doits, et y faut qui puisse le rupé », Gorgibus, Grand Frédéri, p. 12), tandis que le sens 2 est documenté depuis 1861 comme t. de jeu (Callet, p. 109) :
“[ne dites pas] il m’a tout rupé, [dites] il m’a gagné (au jeu)”.
Bibliographie. HumbGen 1952 ; CalletVaud 1861 ; DupertuisVaud 1892 ; WisslerVolk 1909 ; OdinBlonay
1910, p. 507a ; Pier ; BiseHBroye 1939, p. 304-305 ; FEW 16, 726a, RIPPEN ; IttCons 1970 ; ChuardVaud 1979 ; Had 1983 ; Nic 1987, 1990 ; Merc 1990 ; OffScrabble
1995 ; PLi 1997 ; Billod-Morel 1997.
Pierre KNECHT
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