pommeau n. m.
1.◆ Personne maladroite, incapable.
1 « Le Père Éternel médite : “Si c’est la faillite, j’ai envie de rabibocher la création avec un peu d’agriculture
[…]. Est-ce que ça suffit ? Ou je recommence avec le Père Adam ? Sacrés pommeaux, je leur fends la terre en deux, s’ils veulent, comme une pomme verte […].” » M. Chappaz, Le Match Valais-Judée, 1968, p. 42.
2 « Quel pommeau ! Il a encore réussi à tout renverser sur la table. » Jeune femme (VS Évolène), juillet 1997.
◇ (loc. exclamative) Pommeau de sort ! Coquin de sort !
3 « – Ce n’est rien[,] lui susurrait ma tante en pianotant, si tu avais été un mage, tu
aurais croisé ta propre image dans le jardin et c’est elle qui serait assise ici…
/ – Pommeau de sort ! et il se claquait les seins, je suis là ! » M. Chappaz, À rire et à mourir, 1983, p. 202.
2.◆ Apprenti.
4 « Un maître d’apprentissage me rapporta récemment la réplique de ce jeune “pommeau” à qui son patron reprochait son manque d’énergie au travail : – Qu’est-ce que ça
peut vous faire, à vous, qu’je m’crève ; vous êtes plus près de l’AVS* que de l’école* de recrues ! » Bulletin officiel de la Ville de Neuchâtel, 1er décembre, 1977, p. 12.
5 « Pour les apprentis, enfin, le mauvais résultat de l’initiative* […] ne doit pas faire oublier qu’il s’agit là d’une catégorie défavorisée. Aux pouvoirs
publics à faire en sorte qu’on fasse mieux que de fournir des “pommeaux” aux petites entreprises. » La Liberté, 29 septembre 1986.
6 « Le Suisse reste très impressionné par l’idée, juste d’ailleurs, qu’à l’origine de
bien des grandes entreprises alimentaires, chimiques ou électriques, on retrouve un
“père fondateur”, apprenti-confiseur ou pommeau chez un forgeron, qui a réalisé le grand rêve d’industrialisation du début du xixe siècle. » Domaine public, 3 septembre 1992.
◇ (par ext., fig.) Personne inexpérimentée.
7 « Si j’étais député nouveau au Grand* Conseil vaudois, je n’apprécierais pas que la première question qu’on me pose soit : “Veux-tu 300 francs ou 250, comme ceux de la dernière législature ?” Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça, moi, pommeau, qui ignore tout du travail concret d’un député ? » 24 heures, 3 juin 1994, p. 1.
3.◆ Garçon de courses, commis de bureau ; (par ext.) employé subalterne, sans responsabilités ni considération.
8 « Tu te rends compte : me faire ça à moi qui ai travaillé pendant dix-sept ans au commerce,
qui me suis démonté le dos à charger et décharger les caisses, à faire le pommeau sous les ordres d’un roquet tout juste sec derrière les oreilles ; maintenant que
j’aurais pu prendre quelques responsabilités, le pied au cul !… » G. Clavien, Le Partage, 1976, p. 60.
9 « Je ne veux pas rester toute ma vie manœuvre ou pommeau. » F. Clément, Les Vaches enragées, 1993, p. 182.
10 « Les caméras tournent, le concert bat son plein et ce type reste assis dans le champ
des projecteurs comme un pommeau qui prendrait sa pause entre deux corvées de café. » L’Hebdo, 2 octobre 1997, p. 87.
Localisation. Tandis que 1 paraît limité au Valais, les sens 2 et 3 sont courants dans les autres
cantons de 〈Suisse romande〉.
Remarques. Emplois limités au registre familier ; plutôt rares dans la littérature.
Commentaire. La documentation disponible fait apparaître un régionalisme helvétique bien enraciné
depuis le xixe s. Les premières attestations – sans lien transparent avec les multiples sens techniques
du fr. pommeau – sont genevoises, et semblent dénoter tout à la fois la stupidité et le caractère
ennuyeux ; cf. GaudyGen 1827, HumbGen 1852, et ces attestations littéraires : « Vous êtes des pommeaux [à des puristes qui ignorent totalement ce dont ils parlent] » (R. Töpffer, Un Bouquet de lettres, 1841, p. 114 [éd. 1974]) ; « c’est un canton pommeau, aussi hébété que vantard [en parlant du canton de Vaud] » (ibid. 1845, p. 176). Le sens d’“homme stupide” semble être à l’origine de toutes les acceptions encore vivantes mentionnées ci-dessus :
“personne maladroite, incapable” (1) et “personne qui ne sait pas travailler” (cf. “mauvais ouvrier” dans BonNeuch 1867), d’où le sens d’“apprenti” (2) (première att. dans BonNeuch 1867) et “garçon de courses, etc.” (3) (première att. dans HumbGen 1852, qui donne “petit messager dans une fabrique ou dans un comptoir”). Ces deux dernières acceptions sont aujourd’hui couramment employées, sans nuance
nécessairement péjorative. 2 est le seul à apparaître également en France voisine (région de Pontarlier : “apprenti horloger” ; v. CollinetPontarlier 1925). Le sens anciennement attesté de “homme ennuyeux” n’a pas eu de descendance manifeste, dans la mesure où le sens de “freluquet”, donné par Pier (1924, fasc. 10 ; répercuté à tort comme actuel par Had 1983 et Merc
1990) est dépourvu de toute documentation textuelle et semble inconnu des témoins.
Bibliographie. GaudyGen 1827 ; HumbGen 1852 ; BonNeuch 1867 ; Pier ; CollinetPontarlier 1925 ; FEW 9, 152b, pŌmum I 2 a ; IttCons 1970.
Pierre KNECHT
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