bleus n. m. pl.
◆ Avoir les bleus, être nostalgique ; donner les bleus, rendre nostalgique.
• « En pensée, fredonnez-vous de temps à autre ce refrain qui doit “donner les bleus”. Si un jour vous revenez de vos “Amériques”, nous le chanterons les deux […] ; on le chantera, à moins que l’émotion ne nous
étrangle, ce qui est aussi une preuve d’être heureux de revoir son coin de terre. » W. Dubois, En poussant nos clédars, 1959, p. 181.
↪ V. encore s.v. Allemands.
Localisation. 〈Canton de Neuchâtel〉, 〈Canton de Berne (Jura Sud)〉, 〈Canton du Jura (Jura Nord)〉.
Remarques. Une enquête de vitalité menée auprès d’écoliers jurassiens (P. Henry) a révélé que
la locution avoir les bleus était connue par 29 % des témoins.
Commentaire. RouxArgSold atteste pour la première fois (1921) le syntagme avoir les bleus “être découragé, avoir du noir ; être timbré”. Les syntagmes avoir les bleus et donner les bleus sont donnés par Pier, qui ne les définit malheureusement pas et les présente comme
appartenant au français populaire. Le GPSR atteste la locution èvou̯é lé byœ́ (prop. avoir les bleus) en patois jurassien et glose par “broyer du noir”. Manno 1994 a relevé cette loc. chez six témoins neuchâtelois et trois témoins genevois,
mais avec un autre sens (“avoir peur”). En français de référence, on trouve diables bleus “idées noires” (depuis 1831, v. FEW ; « vx » TLF), emprunt à l’anglais américain blue devils, de même sens, qui a donné lieu à (the) blues “mélancolie, cafard” (empr. par le fr. depuis 1970, v. GR), puis “forme musicale élaborée par les Noirs américains” (empr. par le fr. depuis 1927, v. TLF). Le français québécois connaît bien avoir les bleus “être mélancolique, triste, déprimé” (FichierTLFQ) ; au Québec, cette locution est généralement tenue pour un anglicisme.
Toutefois, la locution suisse romande n’a probablement pas de lien génétique avec
les emplois du français de référence ou du français québécois, tous empruntés à l’anglais ;
la locution patoise èvou̯é lé byœ́ a aussi le sens de “ressentir le malaise du lendemain de libations copieuses” ; on trouve encore dans d’autres patois (FR, JU) la locution iṣrǝ din lè blœ́ (proprement être dans les bleus) qui signifie “être ivre”, ainsi que fèr lé byœ̄ (JU ; proprement faire les bleus) avec le sens de “causer des appréhensions, des transes à qn”. Cette richesse de métaphores dans les parlers dialectaux suggère que la locution
du français régional pourrait provenir en fait des dialectes et non de l’anglais.
Pour un emploi similaire dans une autre langue romane, cf. roum. albastra adj. “bleu” qui connote la mélancolie et la tristesse.
Bibliographie. RouxArgSold 1921 ; Pier ; GPSR 2, 421ab s.v. bleu II 8° ; FEW 18, 27a, blue ; TLF 4, 610b s.v. blues et 7, 141a s.v. diable II C 4 ; KristolColor 1978, p. 259 ; GR 1985 s.v. blues 3 ; Manno 1994, p. 213 ; ThibQuébHelv 1996, p. 349-350.
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