éd. 1999 poing dans sa / la poche (faire le -) loc. verb.
◆ Ravaler sa colère ; endurer, supporter un affront sans répliquer ; faire un effort
pour ne pas s’emporter, pour ne pas laisser libre cours à son indignation.
1 « Cette assistance quotidienne à la messe était, pour beaucoup de mes camarades, une
corvée. Ils devaient se lever une demi-heure plus tôt, ce qui compte, en hiver surtout.
Ils prenaient la religion en grippe. J’en ai connu plus d’un qui, faisant le poing dans sa poche, pendant que c’était prudent, disait en aparté : “Quand j’aurai quitté le collège, je ne mettrai plus les pieds à l’église.” » L. Savary, Le Fonds des Ressuscités, 1956, p. 140.
2 « Elle me montra encore une photographie, format carte postale, où il se trouvait en
compagnie d’autres collégiens à casquette. J’ai dû me dominer, faire le poing dans ma poche, pour ne pas la lui arracher des mains et l’emporter. Je pensais : “Comment pourrais-je la lui acheter ? la lui voler ?” » C. Bille, La Fraise noire, 1968, p. 157.
3 « Ah ? tu ne l’as pas touché ?… Evidemment, si tu te mets à empoigner les surveillants
par la soutane… Il te faudrait peut-être bien faire le poing dans la poche si tu veux arriver au bout de ton collège, tu ne crois pas ? » G. Clavien, Un Hiver en Arvèche, 1970, p. 210.
4 « Louis ne nous avait pas donné de nouveaux sujets d’inquiétude. Certes, depuis son
éviction de l’école, nous n’avions pas trouvé de solution à son avenir scolaire. […]
Souvent j’interrompais mon travail (je m’étais remis à travailler régulièrement) pour
descendre le regarder et l’admirer. L’étrange garçon s’était moins apprivoisé qu’il
ne semblait faire le poing dans sa poche. » J. Chessex, Les Yeux jaunes, 1979, p. 69.
5 « Le tour d’horizon du président C. S. avait, en début de séance, réprouvé avec fermeté
l’égoïsme des milieux contestant aux tireurs la liberté d’exercer leur sport. “Prendre nos stands comme seules sources de nuisances, il y a un pas que nous ne sommes
pas près d’accepter aussi naïvement” affirma-t-il en exhortant ses ouailles à ne plus faire le poing dans leur poche mais à réveiller la majorité silencieuse. L’heure est arrivée d’annoncer la couleur,
de ne pas abandonner le terrain aux forces destructrices et subversives. » La Liberté, 15 mars 1993, p. 11.
6 « […] les façons obséquieuses de ses interlocuteurs, gouverneur ou officiers, qui lui
proposent des coupes de fruits glacés et du champagne extra-dry pour le faire patienter,
l’irritent profondément. En bon délégué, il fait le poing dans sa poche. À force d’insister, il réussit à se rendre dans un camp, celui de Moukden. Ce qu’il
y voit […] suffit à lui faire comprendre que les prisonniers, américains et anglais,
ne sont pas traités selon les Conventions de Genève. » Le Nouveau Quotidien, 4 août 1995, p. 14.
7 « Nous avons montré un vif intérêt pour le projet dès le début. Mais à part quelques
contacts informels […], nous avons l’impression d’être menés en bateau. Pendant plus
d’un an, nous avons fait le poing dans notre poche. L’Expo ne peut pas rester une chasse gardée où l’on a le sentiment inquiétant que
les organisateurs pataugent sans parvenir à dégager une ligne porteuse à leur projet. » Le Nouveau Quotidien, 13 août 1996, p. 7.
8 « Courageux comme tout montagnard, digne dans l’adversité, pugnace comme tout grand
sportif, A. O. a fait le poing dans sa poche et le salut à ses troupes. Il a puisé dans la franche camaraderie de l’armée les
forces nécessaires pour surmonter sa déception. » Le Nouveau Quotidien, 26 novembre 1997, p. 2.
◇ (ex. métalinguistique)
9 « Nombre d’expressions imagées – et combien révélatrices ! – égaillent chaque jour les
articles de presse consacrés à nos gouvernants et responsables politiques : foncer
tête baissée, marcher à l’aveuglette, faire le poing dans sa poche, mettre de l’eau dans son vin, se faire taper sur les doigts […] » Coopération, 23 juin 1994, p. 50.
Remarques. Une enquête de vitalité (février 1998 ; 56 étudiants, la plupart originaires des cantons
NE-BE-JU) a montré que la loc. est connue par env. deux tiers des témoins, mais que seulement 40 % l’emploient. — Correspond approximativement
au français de référence serrer les poings loc. verb. “supporter en silence” (NPR 1993) ; TLF range cette locution sous l’intitulé « Le geste du poing révélant un sentiment, une émotion puissante (la colère, l’inquiétude)
qui précède ou qui contient l’acte violent. ».
Commentaire. Premières attestations : 1868, sous la forme faire le poing dans la poche ; 1880, sous la forme faire le poing dans sa poche (tous les deux LengertAmiel s.v. poing 2). Il pourrait s’agir d’un calque de l’allemand ; cf. die Faust / die Fäuste in der Tasche ballen “heimlich drohen ; ohnmächtig seinen Zorn, seine Wut gegen jemanden verbergen” DudenUniv 1996 ; cf. all. de Suisse die Faust im Sack machen (DudenSchweiz 1989). Le fait que la locution ait été relevée également en Lorraine
(cf. Brunot) semble confirmer l’hypothèse du germanisme ; toutefois, sa présence en Saône-et-Loire
(Mâcon) et en Ardèche (Annonay) ne peut absolument pas s’expliquer par un emprunt
à l’allemand.
Bibliographie. « maîtriser sa colère parce qu’on y est forcé » Mâcon 1926 ; « On dit en Lorraine : faire le poing dans sa poche avec le sens de menacer en cachette. » Brunot 10, p. 222 ; « image [qui] peint à merveille la haine rentrée, impuissante, ou patiente, et polie » DudanFranç2 ; « Schweiz “refréner son indignation” » FEW 9, 514b, PŬGNUS 1 ; KublerExpr 1995, p. 278 (qui glose par la loc. française mettre qch dans sa poche avec son mouchoir dessus ; définie dans TLF s.v. mouchoir comme “être contraint de supporter un affront” ; mais cf. pour un sens plus récent BernetRézeau 1989 qui définissent la locution comme une
invitation à garder quelque chose pour soi, à ne pas en faire état) ; « “ne pas montrer sa colère” globalement connu » FréchetAnnonay 1995 ; LengertAmiel 1998.
Michaela HEINZ
Copyright © 2022, tous droits réservés
|