les citations
crotchon n. m. (var. crochon ; plus rare crotson, crotzon, crotion, crottion, croûtion)
◆ Entame du pain, croûton, quignon.
1 « Après une matinée de balade toutes les lunettes découvrent le Diable au lit chez le Curé, le Diable qui suce un rayon de miel comme une musique* à bouche qui dégouline et l’autre, la soutane toute décrochée, qui beurre ses croûtions de pain. » M. Chappaz, Le Match Valais-Judée, 1968, p. 124.
2 « Dans certaines familles, c’est au chef qu’il appartient d’entamer la miche, sifflant naturellement au passage le crochon bien cuit que chacun convoite. » CuenVaud, 1991, p. 59.
3 « Je viens de couper le pain, il est tout frais. – Qui veut le crotchon ? » Témoin âgé d’env. 40 ans (VD Yverdon), septembre 1997.
(par ext.) S’applique occasionnellement à l’entame d’un saucisson (VD Pully 1975) ou pour un trognon de pomme (Neuchâtel 1973).
Localisation. La forme crotchon est aujourd’hui dominante dans Canton de Vaud et partiellement dans Canton de Neuchâtel (à côté de crochon) et Canton de Berne (Jura Sud). Canton de Genève emploie crochon. Les autres formes ont une diffusion beaucoup plus restreinte : crot(t)ion paraît limité à l’Est vaudois et au Bas-Valais, tandis que crotson, crotzon sont des variantes vaudoises occasionnelles.
Remarques. Souvent seul terme employé à l’oral, mais guère attesté à l’écrit. Le terme équivalent du fr. de référence, croûton, n’est généralement connu qu’au sens de “petit morceau de pain sec” (pour mettre dans la soupe ou dans la salade).
Commentaire. Type lexical répandu dans le domaine francoprovençal et occitan, où il est attesté depuis le xve siècle (Avignon 1440, FEW). En français régional de SR, il est documenté depuis 1808 (DeveleyVaud) sous la forme crochon, restée sans concurrence, d’après les cacologies, tout au long du xixe siècle dans VD, GE, FR, NE et BE. La forme crotchon a été relevée à Sion (VS) par WisslerVolk 1909, p. 37. Les variantes crotson, crotzon, crot(t)ion ne sont pas attestées à date ancienne. Elles rappellent le substrat dialectal, mais ne le reflètent que partiellement, comme l’a justement souligné E. Schüle (Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, t. 11 [1984], Éd. 24 heures, pp. 303-304). Quant à croûtion, il faut distinguer deux cas d’espèce : en tant que variante de crochon, il s’agit d’une forme à rapprocher de crot(t)ion, et c’est sans doute de cela qu’il s’agit dans l’ex. de M. Chappaz cité ci-dessus. En revanche, le mot croûtion mentionné dans la lexicographie genevoise du xixe siècle et défini comme “morceau de pain mordu, rongé, et laissé sur la table après le repas ; vieux reste de pain sec” par HumbGen 1852 (qui conteste la glose “croûton” donnée par GaudyGen 1820, 1827) appartient à la descendance de crŬsta (FEW 2, 1372a) et non à celle de *cŬrtĬcare qui est à la base de cro(t)chon. En France, crochon est bien attesté en français régional du domaine francoprovençal depuis le xviiie siècle et apparaît même dans un passage de Stendhal qui, né à Grenoble, écrit en 1836 : « le pauvre Santerre venait à la maison attiré par ce doigt de vin et le crochon de pain » (Vie de H. Brulard, p. 147). — On trouve crochon en emploi hypocoristique dans une pièce de R. Töpffer (« Aimerais-tu m’avoir pour mama, dis, mon crochon. » Didon [avant 1833] dans Théâtre, p. 413) ; cf. le cas analogue du fr. trognon.
Bibliographie. DeveleyVaud 1808, n° 120 ; Dumaine 1810 ; GaudyGen 1820, 1827 ; GuilleDial 1825, p. 44 ; GuilleNeuch 1829-32 ; PeterCacol 1842 ; HumbGen 1852 ; CalletVaud 1861 ; BonNeuch 1867 ; GrangFrib 1868 ; ConstDésSav 1902 ; Pier ; FEW 2, 1584, *cŬrtĬcare ; IttCons 1970 (> DFV 1972, CuenVaud 1991) ; Alpha 1982 ; DumontGen 1983 ; Pid 1983, 1984 ; GuichSavoy 1986 ; Nic 1987, 1990 ; ArèsParler 1994.
Pierre KNECHT
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