les citations
déjà [dɛʒa] (fam. [dʒa]) modalisateur d’énoncé
(Avec un verbe au futur, exprime que le contenu de l’énoncé est considéré comme sûr, comme certain.) Bien, fort probablement. Je le ferai déjà, je le ferai bien. Il viendra déjà, il viendra fort probablement. Vous allez déjà voir, vous verrez bien. Il veut* déjà pleuvoir, il va fort probablement pleuvoir. Celle-là, elle veut* déjà se débrouiller, elle va bien se débrouiller.
1 « Qu’est-ce que tu veux t’en faire pour lui, s’exclamait Max, pour apaiser son père. Quand il aura faim, il veut* déjà revenir. » A.-L. Chappuis, Quand la grêle et le vent, 1960, p. 211.
2 « Fini de trembler dans l’escalier du galetas* ; il aura son devoir à faire, comme les autres, et il saura déjà s’arranger pour n’avoir jamais fini avant Paul et Philippe !… » G. Clavien, Les Moineaux de l’Arvèche, 1974 (1re éd. 1962), p. 174.
3 « Évidemment, le docteur Trufenheim n’est peut-être pas très bien payé momentanément comme il débute, mais dès qu’il sera à son compte, il va déjà se rattraper, car on sait ce que gagnent les docteurs […]. » G. Clavien, Le Partage, 1976, p. 301.
↪ V. encore s.v. carnet I 1 ; vouloir.
Remarques.  Dans des phrases du type comment s’appelle-t-il déjà, l’emploi de déjà est aujourd’hui général en français. Donné comme familier, il est en effet signalé par tous les dictionnaires contemporains ; v. GLLF (avec citation de V. Hugo, extraite de la préface en dialogue à la troisième édition du roman Le Dernier Jour d’un Condamné de 1832), TLF s.v. déjà II B (avec citations tirées de dialogues chez J. Giono et F. Mauriac), GR 1985, NPR 1993, Acad 1994, NPR 2000, GR 2001. GrevisseGoosse13 (§ 920 h l), qui l’attribue à la «  langue parlée  », cite également plusieurs auteurs depuis V. Hugo. La tournure semble toutefois avoir été à l’origine un régionalisme bien enraciné dans l’Est de la France et une partie de la Suisse romande. Les plus anciennes attestations connues datent de 1662 et 1664 et se trouvent dans des textes du Messin Nathanael Duez qui enseignait le français dans des pays germanophones ; v. O.Välikangas, “Paradigmes logiques et contact de langues : à propos de déjà, encore, et schon, noch”, dans Actes du xviie Congrès International de Lin-guistique et Philologie Romanes, Aix-en-Provence, 29 août – 3 septembre 1983, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1985, vol. 7, p. 17-26. En Suisse romande, la plus ancienne attestation est genevoise et date de 1790 (Merle d’Aubigné, p. 129). La plupart des glossairistes suivants en ont également fait état : DeveleyVaud 1808 (n° 403) et 1824, PeterVoc, PeterCacol 1842, HumbGen 1852, CalletVaud 1861, GrangFrib 1864, BonNeuch 1867, PludFranç 1890 (p. 21) et rééditions suivantes. Ce dossier est repris en 1922 par Pier (fasc. IV), qui y ajoute des références textuelles romandes de 1868 et 1884, mais qui attire également l’attention sur l’occurrence du tour dans un texte de V.Hugo de 1874, raison pour laquelle il considère à juste titre qu’il relève du français populaire. L’emploi parallèle de l’all. schon (“Wie heisst er schon ?”) ainsi que la distribution géographique plaident fortement en faveur d’un germanisme en français. Une explication qui en SR ne figure cependant que chez GrangFrib («  Nous avons emprunté aux Allemands l’emploi vicieux de déjà (schon) dans un foule de phrases  » ) et peut-être PludFranç (1890, où on trouve l’abréviation « (g.) » non explicitée qui pourrait représenter « germanisme »). D’autre part, à en croire le témoignage de WolfFischerAlsace 1983 (p. 73), les dictionnaires correctifs alsaciens restent silencieux sur cet emploi jusqu’en 1948 (Jean Noirmont, Parlez-vous correctement le français ? Les alsacianismes, Rixheim). La chronologie ne semble pas pas non plus renforcer l’hypothèse d’un germanisme, puisque la plus ancienne attestation allemande date de 1776 (cf. O. Välikangas, “Wie heisst er schon ? Comment s’appelle-t-il déjà ? Zur Problematik der Erinnerungsfragen”, à paraître). On peut toutefois considérer que, sur l’ensemble, les arguments à l’appui d’une origine germanique pèsent plus lourd, d’autant que l’émergence d’attestations écrites pour un sémantisme du parlé reste très aléatoire. [P.K.] — Pour appuyer une affirmation ou renforcer une constatation (phrases du type c’est déjà pas si mal, c’est déjà bien), l’emploi de déjà est attesté en français depuis Balzac (v. FEW) et ne constitue pas non plus un régionalisme (v. TLF 6, 1006b s.v. déjà II A).
Commentaire. Première attestation : 1864 (Grangier). Emploi probablement dû à l’influence de l’all. schon (suissal. scho ; v. SchwId 8, 851), courant dans des énoncés renvoyant à un événement futur (es wird schon gehen, wir werden schon sehen, etc.). L’existence d’un emploi similaire en Alsace et à Metz renforce l’hypothèse d’un germanisme.
Bibliographie. GrangFrib 1864 ; Pier ; « couramment » RobillotMetz 1936, p. 55 ; FEW 5, 26a, jam 2 b α et notes 12 et 13 ; GPSR 5, 220b-221a ; RLiR 42, 1978, p. 168 ; WolfFischerAlsace 1983.
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